Ma première fois… en traineau

Par Johann — 

Marcel* ne plaisante pas quand il s’agit de ses chiens. Marcel fait son briefing sérieusement, car il sait qu’il en va du confort et de la sécurité de ses clients, mais aussi de ceux de ses chiens. Un rien bourru, mais le cœur sur la main. Un rien directif, mais simplement parce qu’il tient à ce que la randonnée soit la plus inoubliable possible. Il connaît son métier. Il est musher depuis plusieurs dizaines d’années, meneur de chiens de traîneau, chef de meute et papa à la fois. Caricatural à souhait pour le bonheur des petits et des grands : épaisse barbe blanche, bonnet et manteau d’un autre âge, et accent à couper au couteau.

La température est caricaturale elle aussi, près de moins 20, mais le soleil est au rendez-vous. C’est ma première expérience de traîneau à chiens, je suis excité comme une puce et ne le cache pas, ce qui me permet aussi de me réchauffer. Les chiens sont prêts, les chiens veulent courir, les chiens en ont soupé du briefing qui s’éternise, et ils le font savoir. Aboiements, brouhaha, cacophonie, fanfare… Les dernières recommandations hurlées pour couvrir l’ambiance assourdissante, nous voici partis à travers la forêt. À toute blinde. Sur les chapeaux de roue. Le nez au vent, glacial s’il en est.

Moment magique dans la forêt de l’Outaouais avec les chiens de Marcel.

Et soudain, le silence. Les chiens sont heureux, ils courent. Le traîneau glisse sur l’étendue de neige fraîche avec un voluptueux son de caresse. Rythme parfait, suffisamment rapide pour que l’adrénaline monte, assez lent pour que les paysages s’impriment sur la rétine, assez lent pour qu’ils se figent dans ma mémoire.

Mais le doux cocon de sensations dans lequel j’évolue maintenant ne dure que quelques minutes. Les consignes, quelles consignes ? Ah oui, ne pas laisser la corde se détendre. Trop tard. Les chiens s’emmêlent, se marchent dessus, les truffes rencontrent les queues, les mâchoires s’ouvrent et mordillent. Non, mordent. Un husky n’est pas une peluche, si tu n’avances pas devant moi je t’entame l’inexpressible à coups de canines. Trébuchage, mélange de pinceaux, chute. Je freine comme je peux, avec les pieds, avec le frein à main, avec la corde, avec la voix, avec la pensée. Les autres traîneaux sont loin devant, je vais devoir me débrouiller. Redressage, démêlage… Les chiens sont toujours aussi excités, et veulent repartir. Je juge nécessaire de m’engager entre remontrances et explications, histoire de montrer que le chef de meute, c’est moi. Échec cuisant. Les chiens s’en foutent comme de l’an 40. Je mets ma fierté sur mon mouchoir, que je plie en quatre et enfouis dans ma poche. Nous sommes enfin repartis.

Chef de meute. En apparence seulement…

Marcel nous attendait un peu plus loin, amusé. J’ai retenu la leçon, et le reste du raid se passe sans encombre. Trois heures d’émerveillement dans les paysages de l’Outaouais, une région du Québec encore assez méconnue. C’est idiot, c’est beau. C’est tant mieux, nous sommes tranquilles. Le pique-nique à l’abri d’une tente de trappeurs est bienvenu, pour les chiens comme pour nous. L’occasion aussi de faire quelques câlins, les chiens sont en pause et ne demandent que ça.

Une pause bien méritée dans un environnement de rêve.

L’après-midi nous gratifie de conditions atmosphériques tout aussi idylliques, et les paysages hivernaux sont encore plus spectaculaires à la lumière du soleil descendant. La communion avec la nature est totale, et les soucis techniques de début de matinée semblent loin. Le Bonheur avec un grand B. Un de ces moments d’exception qu’offre le Canada en hiver, et qui restent gravés là, haut sur la liste des moments qu’il faut vivre au moins une fois dans sa vie. Sauf que… j’habite ici. Et chaque hiver, c’est la rechute !

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*Depuis la première expérience de Johann, Marcel a pris sa retraite. Mais son équipe a pris le relais et votre expérience sera tout aussi belle !